sémantique, philosophie et style de jeu (partie 2, les trois quart)

la passe
La passe qui fait rêver

Dis moi comment tu parles, je te dirais comment tu vois le jeu, comment tu t’entraînes, comment tu te comportes, et, en bout de course, comment tu joues

On l'a vu, pour les avants les mots utilisés viennent très souvent des positions en mêlée. qu'en est-il des 3/4 ? C'est peut être là où les différence Nord-Sud se font le plus ressentir dans la philosophie de jeu. C'est visible pour tous les amateurs de rugby qui regardent les matchs à la télé, en cet été 2017 c'est encore plus criant, quelle est la part de la sémantique dans tout ça ?

Pour les 3/4, c'est la structure même de ligne d'attaque qui est radicalement différente dans le nord et dans le sud. Pour être plus simple, on va donc décrire les deux lignes séparément et voir ce qu'on peut en tirer comme enseignements.

Dans le nord :

On parle d'abord de "paire de demis", demi de mêlée et demi d'ouverture, "scrum half" et "fly half". Half voulant dire "moitié" ou "demi" et scrum "mêlée", fly "volant". Pas de différence notable donc que l'on grandisse d'un côté ou de l'autre de la manche.

Il y a ensuite une paire de centres, un premier centre et un second centre, inside-center et outside-center en anglais. Là on peut quand même noter que les termes d'intérieur - extérieur sont plus adaptés pédagogiquement : il y a moins de difficultés à faire comprendre aux enfants le jeu dans le sens, ou l'inversion du sens, quand on parle de centre "intérieur" et de centre "extérieur". Le français a tendance, encore une fois, à rester assez laconique, premier, second, et par là même moins pédagogique.

Dans ce qu'on appelle le "triangle d'attaque", les deux ailiers, "wings" en anglais, aucune différence, et l'arrière, "full-back". Le terme "full", "entier", aide quand même à la compréhension de certaines appellations, puisqu'il y a une logique quasi mathématique dans la disposition des arrières sur un terrain de rugby : les demis, et les 3/4 qui sont à mi-chemin entre les 1/2 et le 1/1 ou "entier", "full". L’appellation anglaise pointe donc précisément ce que l'on appréhende vaguement en français : les demis et l'arrière ne sont pas des 3/4, puisque les deux premiers cités sont des 1/2, le dernier un 1/1.

Dans le sud :

Dans le sud, on repart d'une page blanche. Plus de paire de demis, et pas plus de paire de centres, l'organisation est tout à fait différente.
Il n'y a d'abord qu'un demi, le demi de mêlée, appelé aussi "srum-half", mais plus souvent "half-back" ou 'demi-arrière". Toujours dans la même logique mathématique, entre le 1/2 et les 3/4 on trouve la paire de 5/8ème, "first five-eight" et "second five-height". Un seul centre, appelé logiquement "center", deux ailiers et un arrière dont les appellations ne diffèrent pas de l'anglais du nord.

Tout ça nous donne un seul demi et seulement trois 3/4, l'organisation en est chamboulée, dans la philosophie mais aussi dans la pratique. Ainsi on ne trouve pas de joueurs polyvalents 9-10, ce qui est souvent le cas chez nous, pas plus de polyvalence 12-13, là-bas ça n'est pas dans la logique, par contre la polyvalence 10-12, elle parfaitement dans la logique, est très répendue. CARTER, MC ALISTER, SPENCER en son temps, BARRET aujourd’hui, autant d'exemples de n°10, merveilleusement utilisés au poste que nous qualifions de "premier centre" par les blacks.

A noter que les anglais, toujours avides d'apprendre, ont gagné une coupe du monde en alignant WILKINSON en 10 et CATT et 12, deux joueurs que l'on qualifie "d'ouvreurs" pourtant... Aujourd'hui encore, FORD et FARRELL sont souvent ensembles dans le XV de départ. Même les Lions Britanniques et Irlandais, lors de la dernière tournée (2017) ont régulièrement aligné SEXTON  et FARRELL et posé des problèmes aux invincibles All-Blacks.

A ce stade de ma réflexion, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qu'un joueur comme François TRINH-DUC serait devenu dans une organisation comme celle là... Avec ses énormes qualités, et ses (non moins énormes) défauts, aligné en "second five-eight", il aurait peut être (sans doute ?) fait un malheur.

Pour être complet sur le sujet, parce que je voit déjà les objections fuser, il faut ajouter que les Blacks, quand ils ont un phénomène du genre MA'A NONU, et bien ils sont capables de revoir leur stratégie générale pour s'adapter à lui. Lui, n'est pas un second ouvreur, donc quand NONU est aligné, ils s'adaptent aux qualités des joueurs disponibles.

Et attention, je ne dit pas qu'en France nous devons copier les Blacks parce qu'ils gagnent, non, mais peut être parfois retirer nos œillères, s'ouvrir un peu, oublier nos certitudes, et regarder ce qui se fait ailleurs, parfois, ça peut ne pas nous faire que du mal...

Dans le jeu !

Quelques traduction littérales dans le jeu de passe est également intéressant, et peut parfois nous obliger à ouvrir les yeux :

La "redoublée", est appelée chez nos amis Britons "loop pass", traduction : "boucle". il y a un côté redondant dans ce mot, "boucle", qui sous entends une action sans fin, et qui colle parfaitement à l'intention des joueurs qui jouent une redoublée.

La "croisée" est appelée "switch", traduction littérale de "interrupteur", "aiguillage", "changement". De la même façon, le terme d'aiguillage illustre parfaitement le but de la manœuvre quand on fait une croisée : faire faire au ballon un changement brutal de direction pour perdre les défenseurs.

Je finirai avec ce qui reste pour moi un mystère, la fameuse "cuillère". Mais que vient donc faire l'honorable ustensile de cuisine dans le fameux croc-en-jambe à la cheville de l'adversaire lancé plein gadins ? Sais pas. Et les anglais ne font rien pour m'aider, "ankle tap", littéralement "robinet de cheville"... ?!? Tout aussi incompréhensible...